Mission accomplie pour Xen Cuts. La nouvelle compilation de Ninja Tune fait preuve d'excellence, de pérennité et de goût aventureux mais sûr en matière de musique, qu'elle soit hip hop ou qu'elle aille au-delà.

Ninja Tune :: 2000 :: acheter ce disque

En dépit de l’extrême diversité de son catalogue, Ninja Tune demeure largement plus connu et apprécié des fans de musiques électroniques que des amateurs de hip hop. Et pourtant, c’est par de fortes intonations rap, notamment grâce à un remix du "Paid in Full" d’Eric B & Rakim, que Jonathan More et Matt Black (plus connus sous le nom de Coldcut) ont commencé leur carrière, puis lancé un label qui est aujourd’hui l’un des plus gros indés. Ces grosses racines dans le hip hop ont d’ailleurs été une constante chez Ninja Tune, ce jusqu’aux oeuvres de The Herbaliser et à la fondation de Big Dada, leur division purement rap. Démonstration une fois encore sur ce double CD (triple pour les chanceux qui disposent d’une version limitée) sorti pour célébrer ses 10 ans.

Ninja Tune aurait pu limiter les risques et se contenter d’une compilation rétrospective. Le label avait bien assez dans ses tiroirs pour pondre une suite imparable de pépites. Mais Ninja Tune demeure une tête chercheuse, animée d’un souci prospectif. Il préfère sortir un échantillon représentatif de son catalogue récent, et démontrer qu’il est toujours vaillant. Assemblé avec beaucoup d’intelligence et de minutie, au point d’éviter le côté fourre-tout des compilations et de ressembler à un véritable album, Xen Cuts s’articule donc en deux CD’s très clairement distincts. Un premier, à connotation très rap, grâce notamment aux artistes Big Dada, un second beaucoup plus down tempo, souvent jazz, les deux étant unis par une forte présence des sonorités électroniques.

Le premier CD, celui qui nous intéresse le plus a priori, est donc rempli de emceeing, de cuts, de scratches, de break beats, tous éléments hip hop. Mais mutants, bourrés d’effets, mélangés à cinquante autres genres, à la sauce Ninja, reconnaissable dès le premier véritable morceau "Big Dada Sound" : tous les MC’s Big Dada (Ty, Roots Manuva, Juice Aleem, Mike Ladd, Toastie Tailor), brillants, se succèdent sur un fond plutôt drum’n bass, interrompus par des scratches dévastateurs. Puis vient le moment pour chacun de briller en solo, sous divers format. Les réussites sont nombreuses, quasi systématiques, impossible de les citer toutes.

Il faudra donc se contenter de mentionner le "QMS" désuet et craquant de T-Love, "Ug", bizarrerie sautillante de Mr Scruff, "Saboteur", alliance réussie de l’intrigant brésilien Amon Tobin et du MC londonien halluciné Roots Manuva, le spoken word de Sarah Jones sur un "Your Revolution" (une digression féministe sur le fameux "The Revolution Will Not Be Televised" de Gill Scott Heron) concocté par DJ Vadim, l’excellente chinoiserie "Emperor’s Main Course" de Kid Koala, le funky "Hip Hop Barrio" de Up, Bustle & Out, le collage "Give It Up" caractéristique de Coldcut, le "Night Night Theme" des Infesticons et l’excellent "8pt Agenda" de The Herbaliser, ici dans leur meilleur jour grâce notamment aux impeccables Latyrx. Les mêmes viennent d’ailleurs de signer chez Ninja Tune, avec tous les Quannum, en action ici sur le génial "Blue Flames", aussi présent sur leur Solesides Greatest Bumps.

Le second CD s’éloigne de nos territoires de prédilection. S’y étalent des morceaux down tempo, plus longs, plus instrumentaux, plus électroniques encore, souvent très jazzy. Il n’en reste pas moins tout à fait recommandable aux oreilles hip hop, même si une acclimatation est de mise. La magnifique basse de "Soul Pride" de Neptune, le latino "Los Locos Cubanos" de Up, Bustle & Out, l’orientalisant "Down & to the Left" d’Amon Tobin révèlent tous leurs charmes, de même que les longues plages suivantes. Mission accomplie donc pour Xen Cuts, et pour Ninja Tune en général, aujourd’hui ou sur toute son existence. Le label fait ici la démonstration idéale de son excellence, de sa pérennité, et de son goût aventureux mais sûr pour la musique, hip hop et au-delà.