En 1990, les deux premiers groupes du collectif Native Tongues, porte-drapeaux d'un rap futé et alternatif, avaient donné chacun un grand album au rap : De La Soul avec 3 Feet High and Rising et les Jungle Brothers avec Down By the Force of Nature. On n'attendait plus que l'effort des troisièmes larrons, A Tribe Called Quest. Et l'attente valait la peine. Plus qu'à la hauteur, People's Instinctive Travels and the Paths of Rhythm (rien que ça), s'inscrivait d'emblée comme l'un des temps forts de cette période bénie pour le hip-hop.

A TRIBE CALLED QUEST - People's Instinctive Travels and the Paths of Rhythm

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Alors que De La Soul lorgnait vers la soul et la pop, que les Jungle Brothers privilégiaient épisodiquement une ambiance safari, et menaient même des incursions house, ATCQ cherche ici son inspiration du côté du funk, bien sûr, et surtout, du jazz. Au milieu d'une année où la communauté black et hip-hop redécouvre ses racines musicales, et où Gangstarr sort aussi son premier album, le groupe émaille son LP de samples généreux de trompettes, orgues, basses, guitares issues du vénérable ancêtre.

Cris de bébé pour annoncer la nouvelle oeuvre. Et pour introduire le très cool (quel morceau de l'album ne l'est pas ?) et très long "Push it Along". Guitare et trompettes jazz, rythmique énergique : une formule qui fait date. Une guitare similaire, accompagnée des interjections de nos quatre rappeurs sert de transition avec le titre suivant. On la retrouvera régulièrement le long de l'album. Pour l'heure, on a droit au début de "La Marseillaise", avant les trompettes scintillantes de "Luck of Lucien", sur lesquelles la voix de Q-Tip et son timbre inimitable nous content les aventures de ce fameux Lucien, un lover venu de par chez nous.

Scratches débridés pour "After Hours", tout juste accompagnés des quelques notes d'une guitare cool et vaguement funky. De funk, justement, il est très fortement question sur "Footprints", terriblement groovy. Presque disco en fait. Puis, après l'exotisme français trois morceaux plus tôt, A Tribe Called Quest continue son tour du monde les mariachis mexicains de "Left my Wallet in el Segundo".

Outre le jeu de mot foireux, "Pubic Enemy" nous offre un intermède sautillant, avec son gimmick jazz rigolo, avant le limpide et très suave "Bonita Applebum", sans doute la perle de l'album. Parfaite succession d'une guitare groovy et d'un piano tout à la fois discret et inoubliable, le tout dominé comme d'habitude par la voix, fantastique, cela a déjà été dit, de Q-Tip. Si "Bonita Applebum" est vraisemblablement le meilleur morceau de l'album, "Can I Kick it ?" est le plus fameux. Il fallait oser reprendre l'intro du "Walk on the Wild Side" de Lou Reed, la véroler de scratches poussifs et malpropres, et la couper de temps à autre par une musique de fête foraine. A Tribe Called Quest l'a fait et s'en sort plutôt bien.

C'est l'orgue et la basse qui dominent sur "Youthful Expression". Comme toujours chez A Tribe Called Quest, deux instruments et trois notes suffisent pour construire un morceau, et la voix de Q-Tip pour l'habiter. L'attribut des grands groupes de rap. Deux-trois idées bien agencées, comme ce petit piano qui vient clore le morceau. A part ça, rhythm is the key, comme l'affirme le titre suivant, "Rhythm (Devoted to the Art of Moving Butts)", dominé cette fois par quelques nappes de synthé minimales. Il se passe encore moins de chose sur "Mr Muhammad", et pour le coup, on s'ennuirait presque. Mais People's Instinctive Travels... est encore loin d'avoir dévoilé toutes ses ressources.

Passons encore le plaisant "Ham'n Eggs", puis retournons sur une piste de danse. En effet, les ultimes morceaux, "Go Ahead in the Rain" et "Description of a Fool" sont deux funks torrides à faire remuer un mort. Si vous ne savez pas ce que "groove" veut dire, jetez donc une oreille sur la fin de People's Instinctive Travels.... L'un des derniers grands albums de l'âge d'or du rap, ultime alternative avant que le genre ne devienne pour de bon synonyme de violence gratuite et de machisme.